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Vendée Globe Data : des animaux échantillonneurs
À la limite des cinquantièmes hurlants, les îles de la Désolation voient défiler la caravane du Vendée Globe, pressée de s’éloigner d’une grosse dépression et de trouver un océan austral plus clément. La désolation des Kerguelen n’a d’égale que son isolement géographique qui finalement se révèle une oasis abritant une biodiversité exceptionnelle. Ses eaux subantarctiques à la convergence des fronts polaires stimulent la productivité primaire et constituent un réseau trophique nourricier jusqu’aux grands prédateurs. Le suivi de ces écosystèmes sur le long-terme permet de décider de mesures de règlementation et de protection pour leur préservation.
Le SNO MEMO (Mammifères Echantillonneurs du Milieu Océanique) est un réseau d'observation dans l'océan Austral labellisé par le CNRS INSU dont les données sont collectées par des éléphants de mer ! Des capteurs in situ placés sur la tête de ces mammifères marins, permettent d’enregistrer au gré de leurs déplacements en mer et au cours de leurs plongées, une multitude de paramètres (température, salinité, fluorescence, atténuation de la lumière, oxygène dissous, tentatives de captures de proies, état de mer, intensité et direction du vent, période et hauteur de vagues). Ces capteurs permettent à la fois de mesurer les conditions environnementales et d’étudier l’écophysiologie de ces animaux, autrement dit leur comportement dans ce milieu très vulnérable au réchauffement climatique. Ainsi, à eux seuls, les éléphants de mer collectent 80% des données océanographiques (principalement température et salinité, sur la colonne d’eau, le long de profils verticaux) au sud de 60°S depuis 2004 !
Le bruit du vent et des vagues
De nouveaux capteurs (accéléromètre, magnétomètre, hydrophone) sont capables de mesurer le bruit du vent dans la colonne d’eau, mais aussi d’en déduire l’intensité et la direction du vent ainsi que la période et la hauteur des vagues grâce aux données inertielles en surface.
Cette approche acoustique passive estime l’intensité du vent en mesurant le bruit ambiant généré en surface pendant les phases de descente et remontée de l’éléphant de mer, jusqu’à des profondeurs de 2000 m pendant des durées moyennes de 20 minutes.
Le déferlement des vagues produit des bulles d’air dont l’éclatement génère un bruit ambiant proportionnel à l’intensité du vent. Les autres sources de bruit doivent être filtrées, comme le bruit de nage de l’animal, surtout pendant les phases de remontée. Lors de la phase de descente, la densité de ces animaux leur permet de planer et de couler sans effort. Ce bruit ambiant est proportionnel à la force du vent et permet d’évaluer la vitesse du vent. La comparaison avec des données satellites (CFOSAT) et de modélisation (ERA-5) montre une corrélation significative et une précision de 1 m/s.
Lorsque l’éléphant de mer respire à la surface entre chaque plongée, il prend une posture de « bouchon » et se laisse ballotter entre creux et crêtes des vagues. La mesure d’accélération permet de déduire l’amplitude et période des vagues. Les mêmes données d’accélération et de magnétomètre permettent de retrouver la posture et l’orientation corporelle de l’éléphant de mer. Les résultats montrent que pour respirer, l’éléphant de mer s’oriente dos au vent, permettant ainsi de déduire la direction du vent (Figure 2). Ces études suggèrent également que ces animaux réagissent aux conditions environnementales plongeant plus profondément et plus longtemps quand les eaux sont plus chaudes.
Des filaments pour trouver des proies
La combinaison avec d’autres sources de données, comme des observations satellites, permet encore de mieux comprendre le comportement de ces animaux. Il était déjà observé que le comportement des éléphants de mer, et en général des grands prédateurs, réagit à la présence de certains types de structures océaniques, comme des tourbillons et des filaments. Ces études étaient toutefois limitées par la résolution des satellites altimétriques conventionnels. Les données du satellite SWOT (Surface Water and Ocean Topography), et plus particulièrement de son interféromètre KaRIn, permettent d’accéder à des structures jusqu’à dix fois plus fines et ainsi observer le paysage dynamique tourbillonnaire avec plus de détails. Ces nouvelles données permettent de mieux comprendre pourquoi, et dans quelles conditions, des régions frontales de quelques kilomètres sont plus favorables pour la recherche des proies.
Figure 3 : Courants géostrophiques mesurés par satellite, dans le sud de l’océan Indien, entre le Cap de Bonne-Espérance à l’ouest et l’île Kerguelen à l’est, à la date du 09 et 11 novembre 2024. Plusieurs données satellites sont superposées : en arrière-plan, avec une résolution spatiale de 0.25x0.25°, les courants dérivés de la combinaison de 7 satellites altimétriques nadir (https://doi.org/10.48670/moi-00149) et, en premier plan, selon 2 traces à une résolution spatiale de 2 km, les courants 2D dérivés de l’instrument KaRIn embarqué sur le satellite SWOT (SWOT_L3_LR_SSH_Expert, DOI 10.24400/527896/A01-2023.018) . Crédits SWOT-AdAC.
Les marins observent avec admiration les albatros planer au vent ; bientôt ils pourront guetter les éléphants de mer pour détecter les tourbillons et estimer les conditions de vagues et de vent !
Argonautica, un projet éducatif
Ces éléphants de mer sont aussi suivis par les élèves dans le cadre du projet éducatif Argonautica du CNES qui sensibilise les jeunes à l’étude du milieu marin et du climat en utilisant les données satellitaires Argos, océanographiques et hydrologiques. Ce projet est construit en partenariat avec des scientifiques et des professionnels de la mer. Toutes les ressources sont disponibles sur le site du CNES et permettent aux enseignants de construire en autonomie des projets dans les écoles, les collèges et les lycées.
Remerciements
Le SNO-MEMO et les programmes scientifiques afférents sont soutenus par le CNES, l’IPEV et le CNRS. Les chaines de traitement des données acoustiques et d’accélération afin d’estimer la vitesse et direction des vents ainsi que la période et amplitude des vagues sont développées par Anatole Gros-Martial financé par le CNES. L’équipe SWOT-ST et les analyses de fine échelle ont été soutenues par le CNES, le CNRS, et le CTOH. Les cartes d’altimétrie ont été produites par Llyod Izard et Louise Rousselet.
Références bibliographiques
- Cazau D., Bonnel J., Jouma’a J., Le Bras Y., Guinet C. (2017) Measuring the marine soundscape of the Indian Ocean with Southern Elephant Seals used as acoustic gliders of opportunity. Journal of Atmospheric and Oceanic Technology. 34:207–223. DOI: DOI 10.1175/JTECH-D-16-0124.1
- Cazau D., Pradalier C., Bonnel J., Guinet C., (2017).Do Southern Elephant Seals buoy like meteorological buoys ? Oceanography 30(2):140–149, https://doi.org/10.5670/oceanog.2017.236.
- Della Penna, A., De Monte, S., Kestenare, E., Guinet, C. & d’Ovidio, F. Quasi-planktonic behavior of foraging top marine predators. Scientific reports 5, 18063 (2015). https://www.nature.com/articles/srep18063
Accès au données sur le catalogue ODATIS
Ces données, in situ et satellites sont celles collectées, puis traitées à l’échelle nationale par les infrastructures de recherche, les services nationaux d’observation, les laboratoires de recherche, parfois sur de très longues séries temporelles. Elles sont ensuite "bancarisées", gérées, archivées et diffusées sur des entrepôts de données, par les centres de données et services des pôles. Elles sont partagées en accès libre et accessibles sur le catalogue du pôle ODATIS.